Filippo Meneghetti se révèle avec un premier long très habile et d’une grande finesse excellemment interprété par Barbara Sukowa et Martine Chevallier
Fabien Lemercier pour CinEuropa
« Je voulais vous dire une chose importante pour moi ». Il est parfois des aveux, des révélations de secrets intimes, qui restent subitement bloqués dans la gorge car ils remettent profondément en cause tout le décor de sa propre existence et l’image que les autres ont de soi. Mais ce silence a des conséquences… Avec Deux, son remarquable premier long métrage, dévoilé en première mondiale dans la section Discovery du 44e Festival de Toronto, Filippo Meneghetti, cinéaste italien vivant en France, dissèque avec une délicate virtuosité teintée de suspense les amours clandestins et contrariées de deux retraitées, offrant de merveilleux rôles à l’Allemande Barbara Sukowa et à la Française Martine Chevallier (sociétaire de la Comédie Française).
« Ça vous pose un problème les vieilles gouines ? » Quand Nina (Sukowa) découvre que son amante Madeleine (Chevallier) n’a pas osé faire son coming out auprès de ses deux (très grands) enfants Anne et Frédéric (Léa Drucker et Jérôme Varanfrain) et qu’elle recule dans le projet de vendre son appartement (d’une ville de province française) afin de partir s’installer en couple à Rome (« on pourra être qui on veut »), elle s’emporte en public et c’est l’agent immobilier qui trinque. Il faut dire que les deux femmes vivent le parfait amour, habitant officiellement l’une en face de l’autre sur le même palier, mais en réalité toujours ensemble chez Madeleine, et ce depuis quelques années et la mort du mari de cette dernière. Et l’on découvrira même ensuite que leur coup de foudre remonte à vingt ans auparavant. Aussi est-ce un terrible drame, un véritable coup de tonnerre, qui s’abat quand Madeleine subit un accident cardiovasculaire. Dévastée et obligée de se replier chez elle, Nina tente de s’immiscer, sous le prétexte de l’amitié de voisinage, dans le difficile processus de convalescence de Madeleine qui retrouve bientôt son foyer, surveillée 24 heures sur 24 par une aide-soignante (Muriel Benazeraf) et entourée par ses enfants. Les sentiments de Nina et la certitude qu’elle est la mieux à même d’aider Madeleine à revenir à la vie, poussent Nina à prendre des risques de plus en plus grands et à éveiller les soupçons…
Orchestrant minutieusement un ballet subtil de variations de l’intrigue (un très bon scénario que le réalisateur a écrit avec Malysone Bovorasmy, en collaboration avec Florence Vignon) autour de la logique spatiale et symbolique des deux appartements en vis-à-vis, Filippo Meneghetti démontre d’indéniables qualités de mise en scène, d’une élégante discrétion, sur un sujet fort dont ses deux actrices principales restituent idéalement les nuances. Introduisant un brin de mystère lors du prologue et d’une autre séquence onirique, le cinéaste délivre en finesse un mélodrame sentimental et social (la norme, la vieillesse) particulièrement bien mené et très empathique, signant donc des débuts plus que prometteurs.