«120 Battements par minute», à fleur de pouls – Cinema Galeries

«120 Battements par minute», à fleur de pouls

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    Libération – Luc Chessel, 20.08

    «120 Battements par minute», à fleur de pouls

    Au centre, Sophie, interprétée par Adèle Haenel.
    Au centre, Sophie, interprétée par Adèle Haenel. Photo Memento Films Distribution

    Historique, biographique, film d’époque ou roman d’apprentissage, le mélodrame concentrique de Robin Campillo sort mercredi.

    Un film événement ? 120 Battements par minute sort en salles avec de l’élan. L’enthousiasme qui a entouré ses premières présentations n’est qu’un tremplin. Autre chose semble le pousser vers nous, comme un vent favorable : un désir ou un besoin, auxquels il vient répondre. Le film arrive plein de quelque chose qui le déborde et qu’il a réussi à accueillir en son sein : toute une époque (les premières années 90, ou le début de la nôtre) ; toute une histoire, celle d’Act Up-Paris, des formes de vies et de résistance inventées par ses membres dans la «lutte contre le sida», c’est-à-dire contre le silence ; toute une mémoire aussi, puisque la biographie et l’autobiographie y jouent leur rôle, charriant les souvenirs transposés de vies réelles et de blessures non refermées. Film d’époque, historique, biographique ? Triple événement où le cinéma aura en apparence la fonction précise, enfin claire aux yeux de tous, de rassembler et de recueillir, pour se recueillir.

    L’idée que le moment serait enfin venu de raconter, de reprendre, de rejouer : cela semble impossible. Un tel film viendrait trop tôt (pour les morts) ou trop tard (pour les vivants). 120 BPM n’est pas ce film, ou pas seulement. S’il l’est quand même un peu, ce film événement, il se l’intègre comme un de ses moments et non comme son but : époque, histoire et vies y sont comme dévorées en chemin vers autre chose. Vers quoi ? Vers lui-même, vers son cœur sombre battant en circuit fermé, où la mort n’est déguisée en fête que jusqu’à un certain point, où la communauté est d’abord la répétition d’elle-même, où les vies passent puis retournent à la pulsation première, ce néant rythmé d’où elles sont venues : c’est un mélodrame. Il est construit comme un roman d’apprentissage.

    Circuit

    Nathan débarque dans une réunion d’Act Up-Paris, où on transmet des informations, trame des actions, élabore des tactiques. Le personnage est un fil tiré dans un entrelacs, dans un film choral qui décrit les processus de discussion et de décision des assemblées. Il rencontre Sean, dont il tombe amoureux, Thibault, à qui il plaît et qu’une brouille opposera à Sean, l’éloquente Sophie, Max, Germain… Les rapprochements et les querelles sont passionnels autant que politiques, ils peuvent être lus sur plusieurs niveaux que le film entremêle et confond pour nous montrer la vie et la lutte absolument inséparables. Nathan est novice, il est aussi séronégatif, à l’inverse des autres. Il a tout à apprendre, et le spectateur avec lui, de ce qui anime le groupe, de son urgence comme de son expérience. On entre à sa suite dans un milieu dense, en même temps que dans le film qui le contient, un espace et un temps à part. Selon le cinéaste lui-même, c’est un espace clos, «un film sans extériorité»,composé de quelques lieux fermés : avant tout la salle de réunion, à laquelle les lieux des actions directes sont étroitement reliés par le montage, comme à un centre ou une source ; l’espace abstrait de la boîte de nuit anonyme des scènes de danse ; puis l’hôpital et l’appartement de Sean et Nathan.

    Le film à clés est aussi bouclé sur lui-même, comme un espace mental en contact restreint avec le dehors, ou comme un bocal (plus encore qu’un aquarium, si 120 BPM est un circuit plutôt qu’un cadre). Campillo cite l’Ange exterminateur de Buñuel, on pense aussi aux films d’Alain Resnais. Sans doute parce qu’à cet espace clos correspond un temps simultané : le film n’est pas au présent, il est interconnecté, par des effets de montage parallèle ou de retour, par incise, d’une scène dans la suivante (jusqu’au dernier bloc, qui bascule vers le choc d’un temps linéaire réel). Quelque chose s’y répète, et avant tout les battements du titre, le tempo de la house music qui sous-tend toute sa construction. La répétition comme plaisir et comme survie, comme conjuration d’une menace, cherchant à rejoindre l’éternité du beat contre un temps compté – puisque la mort plane sur les danseurs et qu’elle vient.

    DJ

    Ce film est une boîte : une utopie et une cellule, une machine qui serait capable d’émotion comme celles de la musique électronique. Il crée là tout un réseau de sens qui n’est jamais métaphorique (aucune «viralité» de la forme ou du propos ici, congé donné aux douteuses images de l’épidémie et à l’idée de «contamination»), mais scénographique : un espace qui cherche à se laisser habiter par des figures qui doivent tout à la vitalité en mouvement des acteurs, et se laisser envahir par des forces extérieures à la limite du surnaturel. Un espace de remémoration active, et non pas de représentation – cette question insoluble de comment apparaître au dehors, qui agite chacune des disputes dans les scènes de réunions. Entre ses murs vitrés rebondissent toute une époque, toute une histoire, toutes les vies, livrées à la mélodie régulière de la fiction, cette boîte où mixe le DJ fantôme de la liberté.