A Ciambra
Delphine Veaudor – Courrier international : le portrait survolté d’une communauté de Roms en Calabre
Tourné en Calabre avec des acteurs amateurs, le deuxième long-métrage de Jonas Carpignano relate l’amitié entre un adolescent rom et un immigré burkinabé. Il sort sur les écrans français demain mercredi 20 septembre, avec pour parrain une légende du cinéma : Martin Scorcese.
Pio Amato a 15 ans, tout comme le personnage du même nom qu’il interprète dans A Ciambra. Comme lui, il vit depuis toujours dans le quartier de la Ciambra – une sorte d’“enclave” rom située sur le territoire de la commune calabraise de Gioa Tauro, ainsi que le décrit le critique de l’hebdomadaire Internazionale. Et comme le Pio du film, le vrai Pio fume comme un pompier, commet de menus larcins et vit à cent à l’heure ; il est “intelligent, fier, irrésistible, indomptable. Une force de la nature qui crève l’écran”.
Pour autant, le deuxième long-métrage de Jonas Carpignano n’est pas un documentaire. Il se situe, toujours d’après Internazionale, “dans une veine qui parcourt depuis des années ce qui se fait de plus intéressant dans le cinéma d’auteur international : le mélange du documentaire et de la fiction”.
Le langage de Pio, son phrasé, ses attitudes, sont empruntés à la réalité. Le cinéaste a passé des mois au sein de la famille Amato, dont plusieurs membres interprètent leur propre personnage dans le film. Il a recueilli leurs histoires, partagé leurs repas et rendu précisément le contexte qui est le leur : celui d’une communauté soudée mais livrée à elle-même, où les plus jeunes doivent prendre le relais des grands frères pour nourrir la famille lorsque ceux-ci se retrouvent en prison. Car dans le quartier de la Ciambra, la rapine est un moyen de subsistance assumé : “Le vol n’est pas quelque chose qu’ils [les habitants] cherchent à cacher. Ils le considèrent comme un travail”, explique Carpignano au quotidien Il Manifesto.
À partir de ses observations, le cinéaste a bâti le scénario d’une œuvre bel et bien imaginaire, dont aucun dialogue, ni aucune scène n’ont été improvisés, malgré leur extrême réalisme. Le résultat est un roman d’apprentissage survolté, dans lequel le spectateur voit se nouer une amitié forte entre Pio et Ayiva, un immigré burkinabé qui vit dans un quartier voisin. Jusqu’au jour où le jeune Rom va se trouver face à un dilemme : rester loyal envers Ayiva ou le trahir pour servir les intérêts de sa communauté, comme l’exigent les siens.
Pour Internazionale, le réalisateur de 33 ans est l’un des plus prometteurs de sa génération. Il serait certes exagéré de parler de “chef-d’œuvre” à propos d’A Ciambra, mais le film fait la preuve selon l’hebdomadaire d’une maturité impressionnante :
« Carpignano reproduit avec une justesse saisissante le dialogue entre les deux communautés [celle des Roms et celle des immigrés africains]. Tout paraît spontané, alors que tout est écrit. Le film rejoint en cela les intentions du néoréalisme [le mouvement cinématographique d’après-guerre dont sont représentatifs des réalisateurs tels que Roberto Rossellini, Luchino Visconti ou Vittorio De Sica], mais sans le singer de façon scolaire. Le style de Carpignano est différent, plus proche peut-être de celui des frères Dardenne ou de Robert Bresson. Nous sommes loin de ce cinéma italien qui se complaît dans l’évidence et les stéréotypes, loin du sentimentalisme facile et des clins d’œil. Les états d’âme, la souffrance et la condition humaine [des personnages] sont évoqués à travers la peinture sensible des comportements et des événements qu’ils déclenchent. Le mouvement même de la vie.”
Le film est né sous de prestigieux auspices
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes, A Ciambra a le mérite de porter sur les Roms “un regard parfaitement horizontal, qui n’exalte ni ne dénigre”, souligne le magazine spécialisé Cinematografo, impressionné par ce film qui “n’explique pas, qui ne se contente pas non plus de banalement montrer, mais qui vit réellement”.
Signe qu’il est un talent prometteur, Jonas Carpignano a reçu le soutien de Martin Scorcese en tant que producteur exécutif du long-métrage.
Actuellement en salle.