Julien Dugois – A voir, à lire: Critique
Véritable OVNI sur le fond comme sur la forme, cet étrange long-métrage est le fruit d’un artiste multiple. Alors, faisons-lui confiance pour nous embarquer dans une fresque lyrique déjantée et, pourquoi pas, de chercher la clef de son film noir labyrinthique.
Etrange. C’est parfaitement le mot qui définit l’œuvre de Francois-Jacques Ossang, et ce quelle que soit la discipline à laquelle il se livre. En guise de cinquième long-métrage, il pousse à son paroxysme son talent de plasticien, sans pour autant se livrer à un exercice de style purement surréaliste. Son film est au contraire basé, au moins dans les premières minutes, sur un scénario qui semble classique et linéaire, nous faisant suivre la rencontre entre Magloire (Paul Hamy) et un groupe de malfrats dirigé par un certain Kurtz (Damien Bonnard), et leur préparation d’un cambriolage. Même si le récit semble alors assez limpide, le style qu’Ossang a conçu repose sur une direction artistique atypique qui nous saute aux yeux et nous suit jusqu’à la dernière minute. Et même au-delà.
Au-delà du seul noir et blanc, qui magnifie les images dont la photographie très inspirée de l’expressionnisme allemand semble pensée pour exacerber leurs contrastes via une pellicule 35mm, la patte anachronique d’Ossang atteint toutes les strates de son film. Ce sont d’abord ses cadrages qui nous donnent le sentiment d’être face à un vieux roman-photo qui prendrait vie sous nos yeux. Le jeu des acteurs n’est pas non plus pour rien dans cette sensation d’être face à un univers visuel hors du commun. Leur gestuelle engoncée et les dialogues abstraits qu’ils s’échangent nous renvoient constamment à l’irrationalité assumée de ce dispositif.
Au fil du récit, Magloire et Kurtz s’enfuient en bateau et rencontrent d’autres personnages tous aussi anxiogènes qu’eux, dont un capitaine sentencieux (Diogo Doria) ou encore un docteur particulièrement effrayant (Gaspard Ulliel). De fil en aiguille, l’atmosphère lugubre et l’esprit anticonformiste de l’auteur semblent alors se refermer comme un piège sur ces personnages, jusqu’à les perdre dans les abîmes de son esprit tortueux. Et nous avec.
Le point de bascule dans la désorientation narrative du film est le passage du bateau à Nowhere Land. Une île fictive qui rappelle ce qu’était la Zone dans Stalker de Tarkovski : une convergence de toutes les peurs irrationnelles des personnages. Et il ne faut pas compter sur eux pour lever le voile sur ce qui se passe, car chacun y va de sa propre théorie, et en des termes souvent métaphysiques dont la finalité nous restera abstraite. Or, cette confusion finit étonnamment par devenir un élément comique, presque un running gag.
Mais avant de songer à un simple caprice de démiurge capricieux, il est bon de voir dans cette dérive scénaristique mystérieuse une allégorie sociétale. N’oublions pas qu’Ossang est un philosophe et un poète. Ses scénarios ne sont pas aussi fouillis qu’ils en ont l’air. Une seule solution alors : faire comme Magloire, ne pas perdre espoir dans cet imbroglio et tenir jusqu’au bout en profitant de la beauté des images et de la bande-originale qui font de 9 Doigts une œuvre qui ne cesse pas de nous hanter.
Maintenant en salles.