Plaire, aimer et courir vite. L’alacrité du titre, au rythme ternaire irrésistible, invite à inventer des variantes. Séduire, baiser et survivre. Rire, lire et jouir. Souffrir, pleurer et mourir… Courir vite, dans le cas de Jacques, c’est «courir à sa perte», selon ses propres mots. Il sait qu’il ne survivra pas au sida. On est en 1993, une époque qui était déjà celle de 120 Battements par minute, grand prix à Cannes l’année dernière.
Plaire, aimer et courir vite vient après le film de Robin Campillo sur les militants d’Act Up. Il arrive après, mais il n’arrive pas trop tard. Deux films ne suffisent pas à épuiser le sujet. Ni trois, ni quatre, ni cinq. Pour toute une génération, le besoin de consolation est impossible à rassasier. Les morts continuent de hanter les vivants. Vingt-cinq ans après le pic de l’épidémie, les rescapés racontent, les témoins se rappellent. Des cinéastes participent à ce deuil impossible. Honoré, avec une pudeur et une grâce superbe, se souvient de sa jeunesse et de ces vies privées de vieillesse.
S’approprier l’insulte
120 Battements par minute donnait le contexte de Plaire, aimer et courir vite. Au début des années 1990, dix ans après les débuts du sida, les «pédés» tombent comme des mouches. Chez Honoré, comme dans la vie, les pédés se désignent comme des pédés, voire des salopes, jamais comme des homosexuels ou des gays. Ils s’approprient l’insulte qu’on leur envoie au visage. Quand la société ne les rejette pas, elle les laisse crever. En 1993, la trithérapie n’existe pas. Le sida n’est pas encore une maladie chronique dont on ne meurt pas, à défaut d’en guérir.
Jacques (Pierre Deladonchamps, qui n’est plus un inconnu du lac) n’a pas l’âme d’un militant. Il est écrivain, auteur de romans et de pièces de théâtre. Il évoque Koltès, Lagarce et Guibert, tous trois fauchés alors qu’ils n’avaient pas 40 ans, ou à peine. Jacques habite à Paris et vit avec son fils un jour sur deux. Il a le sida, comme l’un de ses anciens amants qu’il recueille un temps chez lui et qui a déjà un pied dans la tombe. Ils partagent les mêmes médicaments. Lors d’un déplacement en Bretagne, il rencontre Arthur dans un cinéma (1993 est l’année de La Leçon de piano). Arthur a le charme indolent et la drôlerie de Vincent Lacoste, en couple avec une fille le jour, en chasse pour baiser avec des hommes la nuit. Jacques le vouvoie, le tient loin de lui. Il est déjà trop vieux pour mourir jeune et trop malade pour tomber amoureux. Il fait l’éducation sentimentale et intellectuelle du «petit pédé breton» à distance, au téléphone ou par lettres. Quand Arthur débarque enfin à Paris, Jacques, affaibli par la maladie, se cache chez son voisin et ami Mathieu (Denis Podalydès, formidable). Comment résister à ce jeune homme qui se met à chanter quand il sort dans la rue? Les deux amants finiront par se retrouver. Ils n’auront pas le temps de se dire adieu. La suite, il faut l’imaginer. Arthur deviendra sans doute cinéaste, comme Christophe Honoré. Peut-être fera-t-il de bons films et de moins bons. Et de très beaux, comme Plaire, aimer et courir vite.
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