Call Me By Your Name: « un film magnifique » – Cinema Galeries

Call Me By Your Name: « un film magnifique »

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    Call Me By Your Name

    Geoffrey Crété – Ecran Large: Critique droit au coeur

     

    DÉSIR ET DES HOMMES

    Call Me by Your Name ne sort pas de nulle part. À la réalisation, il y a Luca Guadagnino, cinéaste très remarqué en 2009 avec Amore, un drame passionnel avec Tilda Swinton, qu’il a retrouvée pour le non moins sensuel A Bigger Splash en 2015. Au scénario et à la production, il y a James Ivory, cinéaste superstar des années 80 et 90, auréolé de prix et de succès avec Chambre avec vue, Retour à Howards End, ou encore Les Vestiges du jour.

    Rien ne réunissait a priori ces deux artistes, hormis l’Italie et le livre d’André Aciman, qui raconte la passion brève mais passionnelle entre un garçon de 17 ans et un Américain d’une vingtaine d’années, en 1983. D’abord consultant pour l’Italie auprès d’Ivory, puis co-réalisateur après avoir résisté aux producteurs, Luca Guadagnino a finalement accepté de filmer cette romance, qui aura mis une petite dizaine d’années à se concrétiser. Et il a bien fait tant Call Me by Your Name est un film magnifique, d’une douceur extrême et d’une profondeur enivrante, dont l’écho se faire ressentir longtemps après.

    L’AMOUR À MORT

    Call Me by Your Name n’est pas de ces mélos tire-larmes qui jette à la figure du spectateur l’émotion pré-mâchée, prête à être absorbée et évacuée par le canal lacrymal. Le film de Luca Guadagnino est bien plus étrange et vaporeux, plongeant le spectateur dans une parenthèse radieuse et hors du temps, comme un grand rêve éveillé où la frontière entre fantasme et réalité fond comme neige au soleil.

    L’histoire d’amour entre Elio et Oliver n’est pas tant une tragédie qu’un bonheur ultime, gagné par les deux hommes à force de patience, d’échecs, de lutte. Le cinéaste filme cette escalade sensuelle avec un talent certain, créant des moments de trouble magnifiques, où les regards, les mots et les silences deviennent des mains timidement et maladroitement tendues vers l’Autre. Le goût de Guadagnino pour les ruptures de rythme (notamment dans le montage) s’accorde parfaitement à la parade d’apprivoisement des deux personnages, installant peu à peu un doux crescendo.

    Lorsque viennent les premiers moments d’amour, lorsque les deux hommes tournent autour d’une statue pour se parler dans une superbe scène ou pataugent dans une eau glaciale pour se rapprocher en maîtrisant leur ardeur, Call Me by Your Name surprend et bouleverse par sa capacité à embrasser et suivre les méandres de cette passion, aussi belle qu’irréelle.

    À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

    Et la surprise est ce qui domine le film, écrit avec une finesse et une audace de tous les instants. Si la version de Luca Guadagnino a évacué tous les moments de nudité présents dans celle de James Ivory (reste néanmoins une scène fruitée terriblement forte), elle brille par sa richesse et le superbe soin apporté aux personnages. C’est parce qu’aucun d’eux n’a les réactions ou mots attendus que Call Me by Your Name se révèle d’une douceur infinie, et d’une sensibilité inouïe. Le père, la mère et même la petite amie sont bien plus profonds qu’il n’y paraît et offrent à l’histoire un décor magnifique, peignant un monde d’une tendresse et d’une mélancolie déchirantes.

    Dans les non-dits d’Amira Casar, une déclaration pleine d’amour d’Esther Garrel ou un discours terrassant de Michael Stuhlbarg, le film déplace les enjeux attendus et redoutés vers des zones bien plus riches et inattendues. Ils font de l’histoire d’amour plus que le cœur absolu du film, le soleil autour duquel ils gravitent en silence mais sans être dupes : ils créent autour d’Elio et Oliver une bulle protectrice, discrète mais puissante, où se cache tout le sens du film. Que le film entretienne un rapport de miroir entre eux deux (l’étoile de David, la chambre double, l’échange des prénoms) nourrit ce degré de richesse thématique et symbolique.

    IN THE MOOD FOR LOVE

    Dans Call Me by Your Name, les trésors sont cachés, au fond des eaux bleues ou dans les pages d’un livre poussiéreux. La beauté est oubliée ou négligée, et ne doit sa survie qu’à l’attention des plus sensibles, qui vont repêcher une statue ou offrir un recueil de poèmes. Et si la lecture est pour les cachottiers, comme le confie Marzia, l’amour est alors pour les plus secrets et fragiles, qui y trouvent l’oxygène dont ils manquaient. Que les proches reconnaissent de manière plus ou moins consciente la beauté pure et magique de l’histoire d’Oliver et Elio, et la protègent, donne une puissance insoupçonnable au film.

    Pour Timothée Chalamet, doublement présent dans la saison des prix avec Lady Bird, c’est l’occasion d’être propulsé sur le devant de la scène avec un très beau rôle, qu’il interprète avec une délicatesse renversante. Difficile de ne pas être captivé par ce dernier plan, entièrement dévolu à lui, et qui explique à lui seul sa nomination attendue aux Oscars. Au second plan d’un récit articulé autour d’Elio, Armie Hammer amène son charisme attendu de mâle fantasmatique, avec une légèreté (géniale scène de danse sur Love My Way de The Psychedelic Furs) qui devient plus belle encore lorsqu’il traduit le trouble d’Oliver. Ses regards inquiets et paniqués à l’aurore apportent de subtiles touches au personnage et sont particulièrement beaux et marquants.

    Le talent des acteurs en arrière-plan, les musiques de Sufjan Stevens (notamment la fabuleuse Visions of Gideon), la photographie de Sayombhu Mukdeeprom (qui a œuvré sur la Palme d’or Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures et a retrouvé Guadagnino pour le remake de Suspiria), participent à la réussite de Call Me by Your Name, moins éclatante et spectaculaire que délicatement brillante, et qui hante la mémoire longtemps après le générique de fin. Avec le regret de ne pouvoir y flotter pour toujours.

     

    Actuellement en salle.