Critique : Even Lovers Get the Blues
Comme un pavé dans la mare, EVEN LOVERS GET THE BLUES trouble notre quiétude de spectateur, nous interpelle dès sa première séquence et nous confronte à une génération dont le réalisateur pèse les sentiments et questionne les attendes. Sexué, sexuel et non genré, oscillant entre un réalisme spontané et une pleine représentation, le premier film de Laurent Micheli se tisse à travers la choralité d’un groupe d’amis qui, se mentant à eux-même, basculent dès lors qu’ils se découvrent dans l’impossibilité de s’aimer. Aime-moi plus fort.
Au décès d’Hugo, Ana (Marie Denys) vacille. Qu’importe que ses amis soient autour d’elle, en perdant l’homme qu’elle aime, elle perd un certain goût de la vie. Inerte malgré le feu d’une passion physique, dévorante et maladive, elle se consume dans les bras d’autres hommes sans crier un malêtre pourtant apparent. Entre dans sa vie Arthur (Tristan Schotte), le frère d’Hugo. Retrouve-t-il en elle ses propres désillusions que le jeune homme découvre dans les bras de son ami Graciano (Gabriel Da Costa) un bonheur nouveau. Mais il devra partager son amour naissant avec Dalhia (Adriana Da Fonseca), la petite amie du beau brun, car le couple est en perte d’équilibre – et le trouple bientôt à sa recherche. Dans ce théâtre des passions multiples, se dessinent encore les réalités de Léo (Séverine Porzio) et de Louis (Arnaud Bronsart) dont les aspirations divergent.
Au fil d’une séquence d’ouverture qui réunit, unit et désunit tout à la fois les personnages, Laurent Micheli en prend le pouls et en partage le souffle. Seuls quelques mots d’amour se dessinent au gré d’une chorégraphie de corps qui se percutent, se retrouvent ou se redécouvrent. L’élan est à la fois unique et multiple, comme la dynamique d’un groupe que nous découvrons ensuite. Le temps d’une chanson se concentrent tous les enjeux que le réalisateur détricote ensuite ; de l’ambivalence de Léo à l’interdiction de Louis ; de la fièvre de Dalhia au regard aussi gourmand que fuyant de Graciano ; de l’extase d’Ana à l’objectualisation (et aux larmes) d’Arthur.
Pensant habilement le fonctionnement du groupe, Laurent Micheli trouve dans sa réunion une colonne vertébrale lui permettant d’envisager des portraits multiples jusqu’à n’en tisser qu’un – celui-là même qui devient le portrait commun d’une génération (sans prétendre pour autant à la moindre exhaustivité) dont il questionne les aspirations et saisit, sans complexe, les paradoxes. Un portrait à vif avec pour pinceaux ceux, notamment, de John Cameron Mitchell (période SHORTBUS) ou de Christophe Honoré (en mode LES CHANSON D’MOUR). Si en flirtant avec plusieurs lignes esthétiques – mais aussi narratives – le réalisateur se risque à quelques incohérences (notamment dans le statut à accorder aux chansons plus qu’à la musique, il ne cesse d’expérimenter le médium cinématographique et parvient à imposer une signature dont l’encre trouve en partie sa source dans l’énergie des faiseurs à l’ombre de celle-ci (à l’instar des monteurs donnant au film son souffle et des comédiens lui offrant le leur sans détour).
EVEN LOVERS GET THE BLUES
♥♥
Réalisation : Laurent Micheli
Belgique – 2016 – 95 min
Distribution : Galeries Distribution
Comédie dramatique
FIFF 2016 – Compétition premières oeuvres