« Dirty God est un film harmonieux entre son message et sa réalisation. »
Aubin Bouillé – 17/06/2019 Cinésérie
C’est une situation assez méconnue, pourtant le nombre d’agressions à l’acide ne cesse d’augmenter en Angleterre, notamment entre les gangs londoniens. La Néerlandaise Sacha Polak voulait parler de ce phénomène choquant qui touche certaines jeunes femmes anglaises. Dirty God est son premier film en langue anglaise après deux essais dans sa langue d’origine. Pour le rôle principal, la cinéaste voulait réellement une grande brûlée pour donner le maximum de crédibilité à son histoire. Elle a donc arrêté son choix sur Vicky Knight, une personne avec des cicatrices imposantes qui a vécu une histoire similaire.
Un drame poignant et subtil
L’intérêt de Dirty God c’est évidemment ce sujet éminemment dramatique, mais également très pédagogue qui vient présenter une réalité glaçante et méconnue. Un long-métrage utile qui vient défendre la cause des grands brûlés et plus largement des gens mutilés, abîmés, qui doivent vivre avec le regard des autres, avec la pression sociale, et tenter de se réadapter, d’évoluer et surtout de s’accepter de nouveau. Avec un sujet comme celui-ci, le film aurait très rapidement pu tomber dans le pathos ou dans un poids dramatique asphyxiant. Sacha Polak aurait pu confronter le spectateur à une souffrance suffocante, mais elle arrive à trouver un rythme et un équilibre qui permettent au spectateur d’avoir de l’empathie pour Jade (Vicky Knight), sans pour autant que ce soit pesant. Elle se montre juste entre ce qui doit être montré et ce qui doit seulement être suggéré. Notamment la scène de l’agression qui n’apparaît pas, laissant le spectateur faire ses suggestions. Dirty God est un film harmonieux entre son message et sa réalisation. Sacha Polak conserve une forme de pudeur, ne cherche pas forcément à tomber dans le choquant pour étayer ses propos, et prend suffisamment de recul pour laisser la réflexion du spectateur faire le reste du travail.
Vicky Knight est parfaite dans le rôle de Jade. Elle offre une interprétation réaliste mais également relativement cinématographique – le long-métrage restant quand même d’avantage dans le style fiction que dans l’approche documentaire. Une actrice non-professionnelle qui a accepté de tourner devant la caméra de Sacha Polak grâce à ce sujet qui évidemment la concerne directement. Elle est omniprésente dans le Dirty God, pratiquement sur tous les plans du film, manière pour la réalisatrice de placer le spectateur dans sa peau, dans son mal-être, dans sa situation. Même si elle ne s’est pas faite agresser à l’acide, elle est néanmoins une grande brûlée et possède des cicatrices impressionnantes sur la majeure partie de son corps. Seul son visage a été maquillé par de faux stigmates. Quoi qu’il en soit, Vicky Knight fait un saut percutant dans le monde du cinéma, un accent anglais appuyé, une prestation précise, et une émotion qui prend totalement.
Une aventure humaine poignante
Dirty God est parfaitement contrôlé, appuyé par une réalisation maîtrisée, et une photographie très réussie, qui joue beaucoup avec les couleurs et les lumières, notamment les néons. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, plutôt bien écrits permettant d’appuyer la crédibilité de cette histoire. Le réalisme prend, Sacha Polak mettant en scène le quotidien de cette jeune femme, ses amis, ses amours et surtout sa volonté d’effacer les cicatrices sur son visage. Prête à tout, le personnage de Jade démontre bien le désespoir que ressentent les grands brûlés, désireux de faire disparaître toutes ces traces. Le personnage de Jade est ainsi parfaitement écrit, femme forte et discrète qui tente de se reconstruire dans une société complexe.
Sacha Polak cherche également à présenter la précarité des quartiers pauvres anglais. Elle met en scène les HLM londoniens, le mode de vie de la classe moyenne faible, ceux qui travaillent beaucoup pour peu d’argent, ceux qui ont un enfant en bas âge, les mères célibataires trop jeunes, les familles décomposées et recomposées. Elle n’oublie donc pas de porter un regard critique sur une société dans laquelle il est difficile d’exister, dans laquelle il est compliqué de s’élever, encore plus quand on a le corps et le visage détruits par l’acide.
En Salles – Cinéma Galeries
VOSTFR/NL
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