Un pur chef-d’œuvre! Ce «petit» documentaire macédonien, sur une femme amie des abeilles, résume à lui seul toute notre humanité.
Sylvestre Sbille pour L’Echo
Du jamais vu. «Honeyland», c’est tellement fort que les membres de l’Académie des Oscars n’ont pas su qu’en faire. Résultat: en début d’année le film fut nommé à la fois pour l’Oscar du Meilleur Documentaire et pour l’Oscar du Meilleur Film International. Une confusion très compréhensible: dans «Honeyland», même si tout est vrai, on plonge dans le film comme dans une fiction, emportés que nous sommes par le pouvoir de la fable.
Hatidze vit seule dans un hameau reculé avec sa vieille mère impotente, son chien, ses deux chats, et… ses millions d’abeilles. Chaque jour elle leur rend visite, parfois très haut sur la montagne. Une faille dans la roche, une main qui se glisse et déplace une pierre… Derrière le rempart formé de petits corps bruns. affairés, l’or apparaît dans sa grande pureté. Mais un jour «les voisins» reviennent: une famille nombreuse, des nomades éleveurs de bétail. Hatidze s’entend bien avec les enfants. Mais la famille elle aussi produit son miel… Dans cet endroit perdu, absolument désert, la question se pose: est-ce qu’il y aura assez de place pour tout le monde?
Le film n’insiste jamais sur le péril qui menace le monde animal par notre faute. Ni sur le changement climatique. Ni même sur l’exode rural. Il ne se préoccupe pas ouvertement d’anthropologie, ni de philosophie, ni d’écologie. Il fait bien mieux que tout cela, en nous racontant une histoire. Tous les thèmes essentiels de notre époque sont ici traités avec profondeur, non pas en nous assommant d’une mélodie, mais en explorant les harmoniques. À chaque nouveau plan, beauté et force se tissent pour nous conter l’histoire avec douceur, poésie, lyrisme et intimité. Ici, l’humanité est parfois d’une immense beauté, parfois naïve, parfois bête. Surtout, elle est réelle, car mélangée.
Vous n’oublierez plus jamais Hatidze, ni ses voisins, si sa vieille maman, ni ses ruches en forme de cône, qu’elle transporte avec amour à travers la montagne, à même son dos. Vous n’oublierez pas sa vieille cahute, ni son sourire, ni son regard. «Le jour où il n’y aura plus d’abeilles, c’en sera fait de nous», aurait dit Albert Einstein dans un trait de génie prémonitoire. Le jour (encore plus proche?) où il n’y aura plus d’Hatidze, nous serons sans doute encore des milliards. Mais quelque chose d’essentiel sera définitivement perdu.