Dans la fable verte et universelle de Jean-François Laguionie, on retrouve le prince Laurent, personnage déjà présent dans «le Château» il y a vingt ans.
Marius Chapuis pour Libération
Du fatras du festival d’Annecy où se télescopent toutes les langues et formats du cinéma animé, en juin, le Voyage du prince se distinguait par sa majesté, par sa rigueur quasi patrimoniale assurant au sixième long métrage de Jean-François Laguionie (coréalisé avec Xavier Picard) d’être imperméable au vieillissement. Cette élégance guindée s’incarne d’abord dans une voix off enveloppante, à la langue soutenue – un dispositif que Laguionie manie à merveille depuis son Gwen originel. Ici, il s’agit des monologues intérieurs d’un échoué, d’un étrange étranger gisant en bord de mer. Un singe à la stature différente de celle du chimpanzé adolescent qui le découvre inanimé et le ramène dans un muséum où l’intrus est placé en observation devant le regard scrutateur d’une poignée de scientifiques. Bizarre pour ses congénères, le cobaye est familier de celui qui a déjà voyagé au côté de Laguionie, puisqu’on l’a croisé il y a vingt ans dans le Château des singes. Le prince Laurent était alors l’hôte. Le voilà loin de chez lui, perdu de l’autre côté de l’océan, dans la position de l’aventurier vernien subjugué par les prouesses architecturales de ce nouveau monde voué à la technique et à l’innovation.
A travers le cheminement de son aristocrate éclairé, le cinéaste arrange la rencontre entre la Renaissance et l’univers de la Révolution industrielle, incarnée dans cette cité contre nature, arrachée à une forêt qu’il faut repousser sans cesse en coupant ses tentacules végétaux. Formidable créateur de monde, le cinéaste excelle pour transcrire cet émerveillement devant ce temple dressé à la mécanique de précision, au manufacturé, pour donner chair et pierre à cette cité-Etat calée sur les cycles de ses chaînes de montage. Avant de faire briser la coquille de ce monde-œuf si cohérent qu’il interdit toute forme de curiosité et de montrer le ridicule de son assemblée de dirigeants fats et sûrs comme des bourgeois de Daumier niant la possibilité d’un ailleurs. Conte philosophique qui refuse de faire la morale, ce Voyage parle de consommation et des arts (en rejouant un King Kong au pays des singes), de travail et d’aliénation, virant fable verte tout en s’autorisant un peu de mordant sur les babas écolos des cimes