LUCKY
Chris Huby – Ecran large : « Lucky : Critique hommage »
Lucky suit donc le quotidien d’un vieil athée de 90 ans dans une petite ville perdue dans le désert. Respecté mais mal compris, Lucky tente d’exposer à ses pairs une vision du monde complexe et non rigide. Le long métrage de John Carroll Lynch déroule un scénario qui tient autour du personnage principal campé par un Harry Dean Stanton impérial. La communauté vieillissante et quelque peu marginalisée de ce petit bled semble s’être construite à travers des liens invisibles et des dépendances liées aux habitudes du quotidien. Tout le monde se connaît et se côtoie, comme si la logique d’un grand puzzle humanitaire était à l’œuvre.
LUCKY CHARM
Le rôle d’un Lucky au milieu de cette rigidité générale tient plus à la remise en question profonde qu’à une provocation permanente. Il est isolé et libre penseur, et son existence même pose les questions sur le sens de la vie, son utilité et sa grande futilité.
« Franc et râleur, en bout de course, Lucky lance régulièrement à qui veut l’entendre qu’il n’est rien et qu’il faut profiter de ce que l’on a – message simple et non simpliste, entendu par ses camarades de comptoir et les adultes en plein questionnement. »
Sans doute bien plus nihiliste qu’athée, Lucky pose pourtant un regard attendri sur ses congénères, des humains somme toute en souffrance, chacun poursuivant sa route avec les moyens qu’il possède. Le vieux Lucky semble avoir compris ce qu’il en est, sans avoir été influencé par les désirs et les perditions de ses voisins.
Les motifs du film s’étendent jusqu’aux détails métaphoriques, notamment celui de la tortue de terre que l’un de ses amis recherche tout au long du film : alors que celle-ci semble s’être évadée de l’emprise de son propriétaire, le message envoyé est celui de la survie de son espèce au-delà de la nôtre, alors même que l’animal porte sur son dos un cercueil et une douleur quasi permanente – autrement dit un fardeau général que chaque individu devrait se rappeler.
« Le film insiste : pour avancer, il faut toujours prendre du recul pour ne pas dire de la hauteur. »
THIS IS THE END
Le film, malgré un fond d’une noirceur implacable, transporte avec lui une légèreté affichée et un enthousiasme pour la vie qui se pose en solution contre le manque de sens. Loin d’une naïveté qui pourrait poindre avec ce type de film, et malgré les virages attendus, on assiste à une histoire qui prend le spectateur par l’émotion et qui pourrait rappeler d’une certaine manière le Bagdad Café de Percy Adlon, pour ne citer qu’un archétype de ce genre d’ambiance. Réussi dans ce qu’il propose, c’est un film à réfléchir et à discuter lorsqu’on sort de son imposant souffle terrien des dernières minutes.
Le réalisateur a choisi un casting qui va en ce sens et qui reconstruit ici une famille symbolique. David Lynch incarne le propriétaire de la tortue et l’on retrouve à ses côtés Tom Skerritt, Ron Livingston ou encore James Darren, chacun transportant volontairement à l’écran l’univers antérieur qui lui est attaché. C’est la grande performance du film que d’arriver à apporter au cinéphile un message au-delà de ce qui est montré au premier abord. Le long métrage veut questionner ses spectateurs bien ailleurs.
Ironie de la vie, ou peut-être conclusion logique : Harry Dean Stanton est décédé en septembre 2017, laissant derrière lui une immense carrière et ce dernier film au message puissant. Lucky s’efforce effectivement tout au long de sa vie à essayer d’apporter à l’autre le questionnement ; une œuvre et une tâche qu’un acteur comme Stanton a également martelé par ses choix glorieux, originaux et importants tout au long de sa carrière. Malgré lui, le film porte ainsi une forme d’hommage immense, à la fois à ce type de personnage de l’Amérique profonde et à son acteur aux talents démultipliés.
Actuellement en salle.