Thomas Sotinel – Le Monde – 27/02/2019
« Marie Stuart, reine d’Ecosse » : une touche de modernité sur la monarchie
Le premier long-métrage de Josie Rourke évoque la rivalité entre Marie Stuart (Saoirse Ronan) et sa cousine Elizabeth (Margot Robbie).
Monarque britannique : s’il est une profession qui garantit l’immortalité cinématographique, c’est bien celle-là. Il n’est pas jusqu’à l’obscure reine Anne Stuart qui n’ait remporté un Oscar, par la grâce d’Olivia Colman, couronnée pour La Favorite. Les aïeules plus illustres d’Anne, Elizabeth Tudor d’Angleterre et Marie Stuart d’Ecosse, n’ont pas eu cette chance. Le premier long-métrage de Josie Rourke, femme de théâtre à la réputation londonienne bien assise, n’a pas été bien loin dans la course aux trophées. C’est sans doute un signe de surdose. De séries en sagas cinématographiques, les turpitudes des Tudors, la splendeur élisabéthaine ont été exploitées aussi systématiquement que les mines de charbon du Lancashire.
Il ne faut pas pour autant réduire Marie Stuart, reine d’Ecosse, à la répétition d’un format éprouvé. Inventifs, brillants (souvent), lourdement appuyés (parfois), le scénario de Beau Willimon (auteur de la version américaine de House of Cards) et surtout la mise en scène de Josie Rourke envisagent l’histoire de la rivalité entre les reines comme le combat de deux femmes pour la maîtrise de leur corps.
Comme on le sait – grâce à John Ford (Marie Stuart, 1937, avec Katharine Hepburn) ou aux livres d’histoire – la reine d’Ecosse finit coupée en deux, sur ordre de sa cousine d’Angleterre. Le film de Josie Rourke commence par cette séquence : Marie Stuart (Saoirse Ronan) marche à l’échafaud, sa robe noire est déchirée pour révéler une tunique rouge, couleur du martyre chez les catholiques. Cette image saisissante, empruntée à la chronique de l’époque, donne le ton d’un récit procédant en une succession de situations qui se résolvent par des constructions graphiques impressionnantes, pertinentes ou redondantes. On ne s’étonnera pas de voir Josie Rourke jouer de la proximité de l’histoire avec la tragédie shakespearienne, au long de la séquence de l’assassinat du favori de Marie Stuart par son époux et une volée de lords écossais protestants vêtus de noir, par exemple.
Après avoir scellé le sort de l’héroïne, le scénario revient en arrière, au moment du débarquement de Marie en Ecosse. Jeune veuve du roi de France François II, elle vient reprendre possession de son trône à Edimbourg et ne fait pas mystère de sa volonté de succéder à Elizabeth, en vertu de son lignage. De l’autre côté du mur d’Hadrien, son aînée de dix ans, la Reine Vierge (Margot Robbie), dont le père, Henry VIII, a fait décapiter la mère, Ann Boleyn, joue la prudence. Alors que Marie cherche un prince qui perpétuerait sa dynastie, Elizabeth se refuse à tous les hommes pour éviter d’être réduite au statut de réceptacle de prince héritier, essayant de jeter Dudley, son favori, dans les bras de sa rivale.
Petite vérole criante de vérité
Au nord, Saoirse Ronan prend un joli accent écossais et joue avec les pulsions contradictoires de sa souveraine, jeune fille libérée par le veuvage, catholique dévote mais désirante. L’actrice prouve une fois de plus la fluidité de son talent. Pour que le film tienne tout à fait en équilibre, il aurait fallu que l’idée de confier le rôle d’Elizabeth à Margot Robbie tienne aussi sa promesse. Mais l’actrice australienne, enlaidie comme il se doit par une petite vérole criante de vérité, ne parvient pas à imposer la sagesse et la duplicité que le scénario prête à la reine. Si bien qu’il incombe presque entièrement à Saoirse Ronan de forcer la sympathie d’un public désorienté par la duplicité des nobles qui veulent reprendre les deux royaumes aux deux femmes. Elle s’acquitte de la tâche avec une vaillance digne de son modèle, à qui l’on peut reprocher bien des erreurs, mais pas son manque de courage.
Autour des deux jeunes souveraines, Josie Rourke a réuni une distribution que l’on qualifiera – en traduisant littéralement l’expression en anglais – de daltonienne (colourblind). Bess of Hardwick, la première suivante d’Elizabeth, est incarnée par Gemma Chan, que l’on a récemment vue dans Crazy Rich Asians ; Lord Randolph, ambassadeur d’Angleterre à la cour d’Ecosse, a les traits d’Adrian Lester – que l’on avait découvert en France dans la mise en scène de Hamlet par Peter Brook. Ces visages asiatiques ou africains produisent un effet contradictoire. Ils éloignent le film de la vraisemblance historique (de toute façon hors d’atteinte) tout en lui prêtant une modernité séduisante. Ils justifient aussi le parti pris d’insuffler des valeurs et des réflexions contemporaines dans une histoire déjà si souvent contée.
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En salle – Cinema Galeries.
VOF sous-titrée néerlandais
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