« On body and soul »: un dialogue merveilleux entre rêve et réalité – Cinema Galeries

« On body and soul »: un dialogue merveilleux entre rêve et réalité

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    Nicolas Gilson, Un grand moment de cinéma, 12.12.17

     « On Body And Soul » : un dialogue merveilleux entre rêve et réalité 

    Tragi-comédie romanesque, ON BODY AND SOUL tisse un dialogue merveilleux entre le rêve et la réalité. La réalisatrice hongroise Ildikó Enyedi y met en scène une histoire d’amour tendre et délicate, emplie d’humour, entre deux handicapés sociaux qui vont devoir dépasser leurs angoisses et leurs inhibitions pour se rencontrer, se révélant enfin à eux-mêmes. Un conte moderne qui nous met du bleu à l’âme.

    Le jour se lève sur un abattoir de la banlieue de Bucarest. La routine quotidienne se dessine, mais Endre (Géza Morcsányi), le directeur financier, découvre un nouveau visage qui se tient à l’ombre dans la cour. D’abord étonné de ne pas être au courant d’une nouvelle embauche, il se rend compte qu’il s’agit de la nouvelle contrôleuse de qualité qui, semble-t-il n’est pas commode. Et en effet, Mária (Alexandra Borbély) est des plus rigide, respectant à la ligne le règlement et n’hésitant pas à déclasser la viande en Catégorie B pour deux millimètres de gras en trop. Se dessine alors une improbable rencontre… plus singulière encore qu’elle n’y paraît.

    De quoi as-tu rêvé la nuit dernière ?

    Avant que ne se dessine la moindre ligne narrative, Ildikó Enyedi nous hypnotise littéralement en mettant en scène une biche et un cerf qui gambadent, amoureusement, dans une forêt enneigée. De plus en plus présent, le son, qui fait écho à quelques tintements de cloches, nous confronte au souffle du vent qui nous enrobe littéralement. Bientôt, aux cervidés répondent des bovidés : nous quittons le premier décor pour celui d’un abattoir ; l’impression de liberté pour celle de l’enfermement. Nous observons une vache avant, de manière saisissante, d’épouser son regard sur le petit monde qui l’entoure et qui s’éveille. L’univers de l’abattoir s’offre à nous.

    Théâtre singulier, l’espace de l’abattoir se révèle être un microcosme aux riches métaphores. Tandis que deux personnages s’imposent comme principaux (Endre et Mária), la ritualité des gestes fait sens, quelque fois de manière glaçante, mais sans gratuité. Après tout, la mise à mort du bétail est l’objet-même du théâtre choisi par la réalisatrice qui, à dessein, nous confronte aux étapes qui composent un travail que d’aucuns qualifieraient d’inhumain. Pourtant, ce qui l’intéresse, c’est justement l’humanité qui réunit ou au contraire oppose ses personnages.

    Endre et Mária ont tous deux une place hiérarchiquement importante dans la société, sans pour autant ni devoir se rendre des comptes ni être réellement admirés de leurs pairs, au contraire. Célibataire endurci n’ayant l’usage que d’un seul bras, Endre, aux propos plutôt directs, n’est guère sexy. Paralysée par sa peur des autres, proprement asociale et mono-manique, Mária, dont la fonction « externe » n’est pas appréciée par le personnel, est rapidement moquée par les fortes têtes. La cour et la cantine, ces espaces partagés, rappelant inexorablement ceux communs à toutes sociétés et microcosmes depuis l’école élémentaire (si pas avant) jusqu’aux maisons de repos.

    Au fil des interactions, gauches et timides ou surprenantes, Ildikó Enyedi caractérisent ses personnages en posant sur eux un regard chaleureux. Du découpage au travail sur le son (un design orchestré par Péter Lukács), de la lumière (géniale photographie signée Máté Herbai) aux costumes, du leitmotiv musical (Ádám Balázs) aux décors, du montage à la voix de Laura Marling, chaque élément se veut révélateur et nourrit notre regard sans jamais être dictatorial ou autoritaire. L’approche se veut au contraire extrêmement sensible, voire sensorielle – nous permettant de partager le trouble de Mária comme celui d’Endre et leur rapport au corps (le leur comme celui des autres), tout en posant sur eux un bienveillant regard extérieur. C’est que, bientôt, nous sommes leurs complices en découvrant, en même temps qu’eux, qu’ils partagent les mêmes rêves…

    L’écriture est habile tant, derrière un scénario apriori assez banal, Ildikó Enyedi parvient à unir l’ordinaire à l’extraordinaire. Oscillant entre le réalisme (frontal) et la comédie (potache), l’approche tient du romanesque et se veut des plus séduisante si bien que nous voguons, éblouis, au coeur d’un conte burlesque. Le trait pourrait paraître épais tant certaines situations ou personnages secondaires tiennent du grotesque (épinglons, sans rien en dire, une psychologue du travail et un pédo-psychiatre proprement merveilleux). Le scénario est pourtant d’une rare finesse et permet à la réalisatrice de critiquer au fil de situations rocambolesques, avec humour et même poésie, un monde gangréné à bien des niveaux – ce n’est peut-être pas pour rien que Mária et Endre sont « handicapés » – qui gagnerait à retrouver quelque humanité au fil de rapports sociaux véritables à l’instar de la balade que font la biche et le cerf dont les interactions ponctuent le film (jusqu’à lui conférer son sens).

     

    En salle au Cinéma Galeries