Flavien Poncet – 10 mai 2018 – critiques films
RAFIKI, flow pop et saphique
Elle est la seule représentante de l’Afrique subsaharienne en Sélection officielle. Elle fait un hymne à l’amour lesbien au Kenya, paradis de la sape, loin de la sinistrose. Quand on a dit cela, on n’a encore rien dit du premier long-métrage de Wanuri Kahiu.
Qu’elle porte, conjointement avec le marocain SOFIA de Meyem Benm’ Barek, les couleurs de l’Afrique ne détermine en rien sa valeur. Loin des considérations de quota, RAFIKI (“ami” en swahili), s’ouvre avec une musique pop, à faire vrombir les murs et à soulever les cœurs. Une disposition du corps ménagée pour accueillir cette romance lesbienne, fil interdit, sulfureux et suavement scandaleux pour traverser un Nairobi bariolé, jalonné d’une communauté d’individus aigris, soucieux de leur médiocrité et jaloux de la liberté désirée par les autres. Les autres, ce sont Rose et Kena.
Dans ce cadre qui pourrait être celui d’une campagne argentine ou d’une banlieue chinoise, va naître une amitié entre elles deux, filles de deux opposants politiques, candidats à une élection locale. Passée la référence explicite et subvertie à Roméo et Juliette, reste l’évolution progressive, sans excès d’afféterie romanesque, de l’amitié au désir, du désir à l’amour.Le désir patent de cinéma de Wanuri Kahiu s’articule dans RAFIKI par l’opposition subtile entre le confort des “bonnes kényanes” (mères amarrées au déterminisme de leur lieu de naissance, leur sexe biologique, leur tradition sexuelle) et l’audace des aventurières soucieuses d’envoyer voler les “qu’en-dira-t-on”. Un contraste doté de belles intentions, d’autant plus courageuses quand on connaît l’intolérance vive en Afrique vis-à-vis de l’homosexualité. Ezekiel Mutua, directeur du bureau de classification des films au Kenya, défendant même sur la page Facebook de son organisme que l’homosexualité est une maladie importée d’Occident, sous-entendant que la réalisatrice l’aurait contractée et importée de ses études aux États-Unis. Ce qui vaut au film une interdiction de diffusion dans le pays natal de la cinéaste.
Le sujet et la frontalité du traitement (même si rien de l’acte n’est montré et si les baisers sont timides) forge le respect pour l’auteure. Respect d’autant plus favorable que le film donne avec générosité des gages de sympathie. Il n’en demeure pas moins, une fois la séance finie et la mémoire des émotions ayant fait son travail, un sentiment de simplicité, pour ne pas dire de simplisme.
Au sujet fort et traité avec témérité, une mise en scène pop, bigarrée et légataire de la street culture, répond une sensation d’inachevé, du scénario jusque dans le grain très vidéo de l’image. Scorie qui peut s’expliquer par l’importance de l’outil et a fortiori de l’esthétique vidéo au Kenya. Tout comme par la difficulté qu’elle a du rencontrer au tournage et, surtout, au montage, pour produire le film qu’elle souhaitait. Un premier long de fiction, mis sous les sunlights du monde par le Festival de Cannes, qui, espérons, favorisera la transformation d’une auteure sur le seuil de se concrétiser.