Stéphane Delorme – Cahiers du Cinéma – mars 2019
Synonymes, cinéma
Depuis ses deux premiers longs métrages, Le Policier et L’Institutrice, on attend beaucoup du cinéaste israélien Nadav Lapid, mais comment prévoir le coup de tonnerre de Synonymes ? La joie ressentie à l’annonce de l’Ours d’or à Berlin, que nous apprenons en terminant ce numéro, et qu’il reçoit au nez et à la barbe d’un dossier de société (Grâce à Dieu d’Ozon), est la joie d’une victoire pour le cinéma. Car l’excitation procurée par Synonymes est d’abord celui de retrouvailles avec un pays – notre pays –, qu’on s’habitue tristement à perdre de vue : la mise en scène. Depuis quand n’a-t-on pas vu pareil feu d’artifices ? Cadre tranchant, montage brutal, jeu jubilatoire avec tout, le hors-champ, le net, le flou, le son, le rapport entre les mots et les images… chaque plan pétille et chaque scène surprend. La « réalité » est attachée à la fermeté de décisions qui se moquent de la vraisemblance et ne ciblent que le résultat dans le cadre, pour le spectateur. Le film est abstrait ? Mais rien de plus incarné. Les acteurs sont électriques tant ils placent haut l’exigence de non-naturalisme, faisant confiance à la fois à l’idée et au corps, à un cinéma aussi physique qu’intellectuel. Tout est coupé, rythmé, martelé, tout sonne. Et aucun formalisme : jamais l’image ne se regarde, parce qu’il y a quelque chose à dire, à hurler, comme le personnage parle haut et fort.
Il fallait bien un cinéaste étranger pour nous réveiller et nous secouer dans notre torpeur. Le film prend ses quartiers en plein 6e arrondissement. Pour un immigré israélien sans le sou, Paris est le fric, une ville entièrement bourgeoise. Yoav apprend la langue, il se débat avec le langage, il bat le pavé, il ne se repose jamais. C’est un guerrier dans les rues de la capitale. Mais il n’épargne personne, ni lui-même, et profère une litanie d’insultes à son pays. Et puisque, dans ce numéro des Cahiers, il est question de la « politique des identités », le film démolit tout diktat de l’identité, il casse tous ces check-points où il faut montrer ses papiers. C’est un électron libre non identifié. Yoav traverse des situations, des lieux, des expériences, sans en sortir des leçons toutes faites, il s’adapte, n’a peur de rien, marche en compagnie de Kurt Cobain, de Napoléon, d’Hector et d’Achille. Il ne construit rien ? Mais pourquoi construire quoi que ce soit ? C’est son honneur de juste vivre, c’est une éthique de combattant.
« Un électron libre non identifié »
Il fallait bien un cinéaste étranger pour nous réveiller et nous secouer dans notre torpeur. Le film prend ses quartiers en plein 6e arrondissement. Pour un immigré israélien sans le sou, Paris est le fric, une ville entièrement bourgeoise. Yoav apprend la langue, il se débat avec le langage, il bat le pavé, il ne se repose jamais. C’est un guerrier dans les rues de la capitale. Mais il n’épargne personne, ni lui-même, et profère une litanie d’insultes à son pays. Et puisque, dans ce numéro des Cahiers, il est question de la « politique des identités », le film démolit tout diktat de l’identité, il casse tous ces check-points où il faut montrer ses papiers. C’est un électron libre non identifié. Yoav traverse des situations, des lieux, des expériences, sans en sortir des leçons toutes faites, il s’adapte, n’a peur de rien, marche en compagnie de Kurt Cobain, de Napoléon, d’Hector et d’Achille. Il ne construit rien ? Mais pourquoi construire quoi que ce soit ? C’est son honneur de juste vivre, c’est une éthique de combattant.
Un film qui ne s’arrête jamais dans sa pensée
Et à peine a-t-on esquissé ce pont qu’on voit cette bombe qui explose, ce personnage insatiable, désespéré, dégoupillé, qui ne reste pas en place ni en paix. Et sa colère dépasse sa pauvreté : c’est la déception qu’aucun État ne soit à la hauteur, qu’il ne trouve sa place nulle part, mais c’est normal, et ce n’est pas grave, parce qu’il est en mouvement et ne s’arrêtera jamais, comme le film ne s’arrête jamais dans sa pensée. Les bourgeois glissent sur son dos un manteau orange qui devient sa panoplie, un manteau trop riche sur un corps trop nu, mais le col relevé lui donne l’allure d’un Bonaparte parti à la conquête d’un pays. Il est tout à la fois : un nouveau-né et le sauveur de la France. Il est injuste, matamore, sauvage, mais il porte une exigence. Ce sont toujours les fous qui nous remettent d’aplomb.
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En salle – Cinema Galeries.
VOF
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