Bénéficiant d’un scénario bien organisé (où l’on retrouve la patte sensible de Leyla Bouzid, scénariste et réalisatrice d’A peine, j’ouvre les yeux ) autour d’allers et retours savamment mesurés entre le parcours disloqué de ces deux ouvriers, la narration tisse la trame de deux sociétés qui finissent par se confondre dans les mêmes espoirs brisés, sans que jamais les protagonistes ne se rencontrent si ce n’est de manière symbolique à travers cette scène où Hervé et sa femme Véronique, en vacances en Tunisie, croisent le chemin de Foued à travers les vitres d’un tram. Hervé travaille depuis toujours dans une usine de fabrication de chaussures. D’un naturel peu combatif, face au licenciement, il accepte la prime que la direction lui propose se faisant huer par ses collègues qui ne jurent que par blocages et rébellions.
Passionné de pêche, il nourrit depuis longtemps l’idée de partir en mer et profite de cet argent pour s’offrir un bateau. Il pense qu’une nouvelle vie s’ouvre enfin à lui, parvient même à convaincre son fils de le suivre dans cette aventure. Il est tout prêt à se conformer à toutes les obligations et formations nécessaires pour entamer une reconversion heureuse mais il se heurte à une administration tatillonne et improductive qui l’empêche de mener à bien ses projets. A quelques milliers de kilomètres de là, Foued trouve du travail grâce à ces machines qui s’installent prés de chez lui et reprend espoir de pouvoir faire soigner sa mère malade et stabiliser son idylle naissante avec la belle Karima. Confronté à un Etat totalement démissionnaire qui ne lui permet pas de bénéficier des prestations sociales liées à son statut de salarié, il déchante bien vite. Trop de règles d’un côté, pas assez de l’autre mais dans les deux cas, des logiques bureaucratiques floues et absurdes qui ne laissent à nos deux héros aucune chance de faire face aux difficultés et de trouver leur place.
Si le sujet s’avère grave et douloureux, l’interprétation du couple Rebbot/Masiero, catapulté cette fois au premier rang, contrebalance de leur humour teinté d’une bonne note d’humanisme l’injustice de situations ubuesques. Capables d’une sobriété dont ils n’avaient jusqu’à présent que rarement fait preuve, ils évitent à leurs personnages l’écueil du misérabilisme, préférant les faire briller de mille facettes attachantes. La famille qu’il forme avec la jeune valeur montante du cinéma français (Kacy Mottet-Klein impeccable dans le rôle de Vincent, leur fils) ne souffre d’aucune faiblesse d’authenticité. Quant à Mohamed Amine Hamzaoui (Foued), il vient d’annoncer qu’il mettait fin à sa carrière de rappeur. Nul doute qu’après cette excellente prestation, le cinéma saura lui ouvrir les bras à la mesure de son talent.
Au delà du message politique qu’il délivre, ce Vent du Nord apporte un souffle d’émotion et d’espoir basé sur l’échange des valeurs et la libre circulation des personnes.